(Larges extraits) / C. Tondini Di QUARENGHI / Article paru sous le titre Etude sur le calendrier liturgique de la nation arménienne / Rome, 1906
Deuxième partie
3. Les trois types d’offices de l’Eglise arménienne
Les offices de l’Eglise arménienne suivent trois types ou formes différentes, d’après la triple catégorie ci-dessus indiquée des fêtes dominicales (Terouni), des fêtes des Saints (Srbots), et des jours de pénitence ou d’abstinence (Pahk).
Dans la catégorie des fêtes dominicales entrent toutes les fêtes qui se rapportent à l’Incarnation ; celles de la Sainte Vierge, de la Sainte Croix et, enfin, de l’Eglise. Ces fêtes ont chacune des cérémonies plus ou moins différentes et solennelles : avec des hymnes et des cantiques propres à chacune d’elles.
Les fêtes des Saints ont des offices moins pompeux. Seulement les plus célèbres d’entre eux ont des hymnes et des cantiques propres ; mais, pour la plupart, on se sert des mêmes hymnes empruntées à l’une ou à l’autre de ces classes qu’on appelle, en langage liturgique, communs : par exemple : le commun des Apôtres, le commun des prophètes, le commun des pontifes, le commun des martyrs, etc. Les Saints commémorés dans la liturgie arménienne appartiennent, pour la plupart, à l’ancien Testament ou aux cinq premiers siècles de l’Eglise, et il n’y a que de rares exceptions pour quelque pontife ou martyr arménien des siècles postérieurs.
Les jours d’abstinence, les hymnes, les cantiques et les psaumes sont généralement empreints de sentiments de pénitence, et on leur ajoute seulement des parties se rapportant à la Sainte Croix, ou bien en suffrage des défunts.
Les leçons pour les fêtes dominicales et pour celles des Saints sont choisies d’après un rapport historique ou une analogie quelconque. La lecture des Evangiles se fait, tous les dimanches, mercredis, vendredis et les jours d’abstinence, d’après un ordre consécutif, mais en omettant les parties appropriées aux fêtes dominicales et à celles des Saints. A l’exception des jours d’abstinence et des cinquante jours entre Pâques et la Pentecôte, on joint toujours, dans les autres, à une leçon tirée du Nouveau Testament, une leçon tirée de l’Ancien.
4. Calendrier civil et comput pascal
L’ancien calendrier national arménien suivi, jusqu’à la fin du moyen âge, dans la vie civile était conforme à celui des anciens Egyptiens et des anciens Persans, c’est-à-dire avec un année de douze mois, chacun de 30 jours, plus cinq jours épagomenes ou surajoutés (en arm. Aveliats) après le douzième mois. L’année était ainsi toujours de 365 jours mais comme, en réalité, elle était — en négligeant une très petite fraction — de six heures plus courte que l’année tropique, il s’ensuivait que les saisons se déplaçaient constamment en raison d’un jour tous les quatre ans et que seulement après 1460 ans révolus le commencement de l’année tropique et, avec lui, toutes les saisons étaient revenus à la même place du Calendrier civil. C’est la période appelée période sothiaque, du nom égyptien (Sothis) de l’étoile Sirius, dont la levée héliaque, c’est-à-dire coïncidant avec la levée du soleil, annonçait aux Egyptiens la crue du Nil. La période sothiaque commençait lorsque la levée héliaque de Sothis coïncidait avec le ler Thot, qui est le jour de l’an égyptien. On l’appelle aussi période de la Canicule parce que Sirius se trouve dans la constellation du Grand chien.
Cette période est appelée par les Arméniens Haïka-schirtchan ou Cycle de Haïk. D’après la tradition, ce Haïk arrière-petit-fils, par Thogorma et Gomer, de Japhet fils de Noé (Gen. X, 1-3), aurait été le père et le premier Patriarche de la nation arménienne ; aussi font-ils remonter à lui le commencement de leur chronologie 5. Haïk est aussi la traduction arménienne d’Orion, la magnifique constellation qui avoisine celle du Grand Chien dont fait partie Sirius, de sorte que la période sothiaque est aussi appelée, par eux, Cycle d’Orion 6. A la fin de ce Cycle – d’Orion ou de Haïk – les anciens Arméniens intercalaient une année entière hors nombre, ce qui remettait leur calendrier d’accord avec le firmament et, plus tard, aussi avec le calendrier julien, vu que 1461 années égyptiennes équivalaient exactement à 1460 années juliennes. Cette intercalation devint évidemment superflue dès que toute la nation adopta le calendrier julien tout en continuant à se servir, pour sa chronologie, du Cycle de Haïk.
Pour ce qui est maintenant du calendrier religieux, l’Eglise arménienne adopta de fort bonne heure le calendrier julien, avec son comput pascal, censé d’accord avec les prescriptions généralement attribuées au Concile de Nicée 7. Il s’ensuit que le comput pascal arménien est le même que celui des Grecs si on excepte, cependant, une légère différence qui, elle aussi, a déjà pratiquement disparu. Elle consiste en ceci que quatre fois en chaque grand Cycle de 532 ans – le grand Cycle appelé dionisien, – les Grecs célèbrent Pâques 6 avril 8. C’est ce qui arriva en 1634 et en 1729, non sans donner lieu à des scènes tumultueuses surtout à Jérusalem à cause de la lumière sortant du saint Sépulcre le Samedi Saint. Mais la dernière fois, – en 1824 – les Arméniens ont préféré éviter, moyennant un accord de part et d’autre, de pareils inconvénients, et d’autant plus qu’à la suite de la conquête du Caucase ils se trouvaient en contact avec les Russes. Dans l’hypothèse que rien ne soit, auparavant, modifié, le même cas se représenterait encore en 2071, mais dès maintenant les Arméniens ont retouché leur Cycle pascal de 532 ans – qu’il ne faut pas confondre avec le Cycle de Haïk – de manière à éviter ladite différence.
5 La chronologie arménienne date du lernavasard — jour de l’an arménien censé coïncider, au commencement de chaque cycle de Haïk, avec le 11 août du calendrier julien — de l’année 2492 avant Jésus-Christ. Le deuxième cycle de Haïk à commencé en l’année 1032 avant Jésus-Christ, le 3e en l’année 428 de notre ère et le 4e, celui où l’on se trouve, le 11/23 août 1888. Il s’ensuit que l’année courante 1906 correspond à l’année 4398 de l’ère arménienne, 18e du 4e cycle de Haïk. L’année 4399 de la même ère commencera le 7/20 août 1906.
6 Voir, pour ce qui regarde Orion et Sirius en relation avec la chronologie des anciens Grecs, Hanbuch der mathematischen und technischen Chronologie, I, Ideler, p. 244-245 et327-328.
7 J’ai dit : censé d’accord avec les prescriptions attribuées au Concile de Nicée, parce que, comme remarquait en 1892, Mgr Michel métropolitain de Belgrade dans une lettre publiée par la Srpska Zastava du 25 juin de la même année et adressée au Patriarche de Constantinople Néophyte VIII : à cause du déplacement de l’équinoxe, « la Pâque n’est plus célébrée effectivement à l’époque où elle devrait l’être, d’après les prescriptions du Concile de Nicée ». L’important document du célèbre prélat serbe a paru aussi en français dans l’Indépendance roumaine du 28 octobre-10 novembre 1899. Il y aurait, en particulier, des remarques à faire au sujet de la paternité, attribuée au Concile de Nicée, du comput pascal alexandrin qui n’entra en vigueur à Alexandrie même, qu’à la fin du IVe siècle. La publication du texte du décret du Concile de Nicée sur la fête de Pâques, qui nous a été gardé par Jean le Scolastique patriarche de Constantinople (+ 575) et le catalogue des Pâques célébrées, de 312 à 342 tant à Rome qu’à Alexandrie, ont jeté beaucoup de lumière sur la question. Voir là-dessus l’étude : Suntne Latini Quatordecimani ? parue dans l’importante revue de Prague : Slavorum litterae theologicae, anno II, n. 2, 1906.
8 La raison de cette différence gît dans la diversité des Epactes d’où il suit que, dans le cycle arménien, la lune 14e tombant le dimanche 6 avril, Pâques est transféré au dimanche suivant 13 avril, tandis que, dans le cycle des Grecs, la lune 14e tombe le 5 avril et Pâques coïncide avec la lune 15e (6 avril).