Les origines de la communauté arménienne de Lyon (1877-1946)
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es débuts de la communauté arménienne de Lyon remontent à 1877. Jusqu’en 1914, elle n’est constituée que de quelques personnes isolées. En 1918, des arméniens de la région de Brousse, au nord-ouest de l’Asie Mineure, spécialistes du commerce de la soie, viennent en France. Ils s’installent à Lyon, créent des usines de tissage qui connaissent un grand succès. A cette époque, des soldats arméniens réfugiés à Salonique arrivent en France grâce à un accord entre les gouvernements français et grec. Dix-sept d’entre eux s’installent à Lyon, donnant alors le véritable coup d’envoi à ce qui allait devenir la communauté arménienne de la région.C’est en 1918 qu’est créée la première Union Nationale des Arméniens (UNA) à l’initiative de Monsieur Stéphane Garabed-Oghlou. Celle-ci connaîtra de nombreuses vicissitudes et s’éteindra vers 1920-1921.
En 1922, la victoire des kémalistes entraîne les massacres de Smyrne par les troupes turques. Des milliers d’Arméniens de Constantinople et de Smyrne fuient et affluent vers la France.
En 1923, quelques dizaines d’Arméniens viennent à Lyon pour travailler en usine.
En 1924, le nombre des Arméniens s’élève déjà à environ 5OO personnes. L’Union Nationale des Arméniens renaît.
En 1925, arrive le légat apostolique, Monseigneur Grigoris Balakian.
Le 27 mai 1926, Monseigneur Grigoris Balakian met en place un nouveau conseil d’administration de l’UNA. C’est sous les auspices de ce dernier que les Arméniens de Lyon auront leur première chapelle en bois «Sainte-Marie-Mère-de-Dieu», sur une parcelle d’un grand terrain située 75 avenue Berthelot (7ème arr.).
En 1929, considérant la gravité de la crise économique née aux Etats-Unis, l’UNA constitue une association d’aide sociale, placée sous la direction de l’archimandrite Anania Hapélian. Le Président Herriot encourage cette initiative et en devient le Président d’honneur. En 1931, la communauté compte 7000 âmes.
Monseigneur Grigoris Balakian organise la communauté arménienne de France en trois grands diocèses: Paris, Lyon, Marseille. Les Arméniens de Lyon choisissent leur premier prélat, l’archimandrite Anania Hapélian, qui vient de l’île de Midilli en Grèce. Sa santé précaire l’oblige à renoncer à ses fonctions. L’archevêque Kévork Arslanian, naguère locum tenens du Patriarche de Constantinople, est nommé pour lui succéder. Mais sa nomination n’est pas ratifiée par le Saint-Siège d’Etchmiadzine.
En août 1936, la chapelle est transférée au-dessus d’un atelier, 69 rue Louis Blanc (3ème arr.).
Le conseil d’administration de l’UNA, démocratiquement élu en 1936 pour quatre ans et constitué de onze membres, assume ses fonctions à partir du 01/01/1937.
En avril 1945, à l’initiative de l’UNA et du Front Patriotique, la commémoration du génocide est placée sous l’égide des trois Eglises Arméniennes (apostolique, catholique, protestante).
En 1964, la paroisse sera placée sous la responsabilité spirituelle de Monseigneur David Sahaguian.
En 1980, Monseigneur Norvan Zakarian lui succédera.
Le projet d’édification de l’église (1947-1953)
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oute la communauté rêvait d’une église à l’image de celles que ses ancêtres avaient érigées et désirait construire une belle église comme celles de Paris et de Marseille. En 1947, une grande collecte est organisée et connaît un vrai succès. Un comité chargé de la construction d’une église fut créée et placée sous la présidence de Monsieur Garbis Djinguederian.Garbis Djenguederian, Président du Comité de Construction.
Le 14 décembre 1953, lors de son assemblée générale, l’association des arméniens de Lyon et de sa région, réunie sous la présidence du légat catholicossal pour l’Europe, Monseigneur Sérovpé Manoukian, donne les pleins pouvoirs à Monsieur Garbis Djinguederian, généreux donateur et président de la commission intitulée « Comité de construction de l’église » et composée de jeunes arméniens.
Un « Comité des dames arméniennes » se constitue et instaure un système de collecte de dons.
Lorsque le terrain fut acheté, une délégation du comité de construction se rendit à Paris pour rencontrer Monseigneur Sérovpé Manoukian, qui a succédé à l’archevêque Ardavazt Surméyan à la fonction de légat catholicossal. Monseigneur Manoukian accepte d’être le président d’honneur du comité.
Messieurs Djinguederian, Khatchadourian et Mikaëlian informent Son Eminence le Cardinal Gerlier, Primat des Gaules, du projet de construction d’une église arménienne. Monsieur Setrag Karian, président du conseil de l’église arménienne de Paris, et Monsieur Djinguederian sollicitent le Président Edouard Herriot pour présider la cérémonie de la pose de la première pierre.
Le comité de construction de l’église opte pour la proposition de l’architecte Armen Hagopian de Paris. Il viendra à titre gracieux chaque semaine pour surveiller l’avancée des travaux, secondé sur place par Georges Chahbazof.
Suite au décès accidentel de Monsieur Armen Hagopian, Georges Chahbazof prend en main les travaux assisté par Monsieur Musy. Une plaque apposée sur le mur de l’église témoigne de la reconnaissance de la communauté à leur égard.
Une collecte de fonds est organisée dans toutes les villes où résident des Arméniens. Des personnes de toutes les conditions sociales tiennent à contribuer à ce projet. Des Arméniens catholiques et protestants apportent eux aussi leur obole, comme Monsieur Sétrak Sandjian.
Monsieur Garabed Hagopian, industriel parisien, devient par un don exceptionnel le principal bienfaiteur.
En signe de reconnaissance, Monseigneur Sérovpé Manoukian décide de placer la nouvelle église sous la protection de Sourp Hagop (Saint-Jacques-de-Nisibe) afin de perpétuer le souvenir du généreux donateur.
A Paris, l’architecte Abro Kandjian dessine et offre le plan de l’autel.
Les travaux commencent au début de l’année 1954.
Le Progrès, 5-6 juin 1954
La cérémonie de la pose de la première pierre (1954)
26 JUIN 1954 : DISCOURS PRONONCE PAR LE PRESIDENT EDOUARD HERRIOT.
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douard Herriot, né le 5 juillet 1872 à Troyes (Aube) et mort le 26 Mars 1957 à Saint-Genis-Laval (Rhône), fut ministre au sein de nombreux gouvernements, président de la Chambre des députés sous la IIIe République, puis à l’Assemblée nationale sous la IVe République. Il fut le maire de la ville de Lyon de 1905 à 1940, puis de 1945 jusqu’à sa mort. En 1946, Édouard Herriot fut élu membre de l’Académie française.« Monseigneur, Mesdames, Messieurs,
Je suis à la fois très honoré et très touché d’avoir été appelé à présider cette cérémonie, si émouvante et si intéressante, qui rassemble les arméniens de Lyon autour de leur future église et du foyer de culture et d’aide sociale qu’ils se proposent de créer.
Je vous prie, Mesdames et Messieurs, et si vous me permettez cette expression, chers amis, de voir dans ma présence au milieu de vous, au milieu de vos familles, la preuve de l’estime que la France d’une façon générale, et plus particulièrement la ville de Lyon, professent pour la communauté arménienne.
Ces sentiments d’estime, que je suis venu traduire, sont la récompense de votre travail silencieux et fécond et la preuve que cette cité vous a profondément incorporés.
Voilà bien longtemps que je suis en relation avec les arméniens de Lyon, puisque cela fera bientôt cinquante ans que je dirige cette ville. Je puis rendre témoignage, un témoignage public, de leur esprit civique, et surtout de leur attachement à la France, à quoi nous sommes si profondément sensibles.
Il est vrai que, dans tous les malheurs de votre patrie, la France s’est tenue à vos côtés. Elle vous a aidés de son mieux, elle vous a accueillis, elle vous garde aujourd’hui son estime affectueuse et, en même temps que je vous apporte un témoignage de ma bienveillance et de l’amitié des lyonnais, je vous apporte mes vœux pour les établissements que vous allez créer.
Il est bien probable que je n’en voie pas l’achèvement. Il était prudent de votre part de m’inviter à la pose de la première pierre, parce que le jour où vous poserez la dernière, suivant les probabilités, je ne serai plus au milieu de vous. Mais, je vous laisse mon souvenir, je vous laisse mon amitié, je vous laisse l’indication que je donne à mes successeurs: d’avoir à vous aider et à vous aimer.
Je connais un peu – moins que vous, assurément, mais un peu cependant – les fastes, et les traditions de votre patrie. J’ai été profondément remué, lorsque tout à l’heure j’ai entendu l’un d’entre vous crier «Vive la France». La France, voyez-vous, mes chers amis, peut avoir ses défauts. Mais le peuple français a une grande qualité: il a du cœur.
Il est bon, il déteste l’injustice, il déteste la cruauté, il déteste l’usage arbitraire de la force. C’est au nom de ces sentiments que nous vous avons accueillis, et c’est cela qu’est venu vous dire, tout simplement, le maire de la ville de Lyon, qui vient simplement vous déclarer comme l’ensemble de ses concitoyens: qu’il vous aime bien, et qu’il vous souhaite, dans les maisons que vous allez créer, beaucoup de succès et de bonheur.
Aimez la justice, aimez la bonté, aimez le devoir envers autrui, aimez la paix, et c’est ainsi que vous serez considérés comme ayant droit à ce titre, qui nous est à nous-mêmes si cher, au titre à la fois d’arménien et de français. »
A la fin de ce discours, Monseigneur Sérovpé Manoukian et le Président Edouard Herriot posent la première pierre et enfouissent le parchemin manuscrit rédigé en arménien, dédié à la fondation de l’église, accompagné des premiers versets du psaume 87, 1-2 : « Le Seigneur a fondé Sion sur les montagnes saintes, il en aime les portes, plus que toutes les demeures de Jacob ».
Le Progrès, 24 juin 1954
Le Progrès, 27 juin 1954
Haratch
La consécration de l’église (1963)
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a cérémonie de consécration de l’église et l’inauguration du foyer communautaire ont eu lieu le samedi 29 juin 1963 et le dimanche 30 juin 1963 sous la présidence du légat catholicossal, Son Eminence l’archevêque Sérovpé Manoukian, et du Maire de Lyon, Monsieur Louis Pradel.Le samedi 29 juin 1963 à 17h s’est déroulé l’office de « l’ouverture des portes » (Դռնբացէք – Trnpatsék) : « Fais en sorte, Seigneur, que l’œuvre de nos mains soit juste, fais en sorte que nous réussissions. »
Dimanche 30 juin, l’office des matines commence à 8h. Les murs sont encore nus. Le tableau de la Mère de Dieu avec l’enfant Jésus, œuvre du peintre Krikor Garabedian, est placé au-dessus de l’autel.
L’archevêque Sérovpé Manoukian officie avec l’évêque Besag Toumanyan, Primat des arméniens de Grande-Bretagne, le père Kude Naccachian (légat catholicossal pour l’Europe occidentale et prélat des Arméniens de Paris), les prêtres paroissiaux Vramchabouh Karibian et Torkom Postékian, le prêtre paroissial de Décines, Varak Avakian, celui de Valence, Yéghiché Panossian, le curé de Saint-Jérôme, et Monsieur Yetvart Derdérian, diacre de l’église de Paris.
Les représentants de la communauté de Valence, de Grenoble, de Marseille, et des quatre coins de France étaient présents.
Parmi les invités officiels, notons la présence de Monseigneur Duquère, représentant Son Eminence le Cardinal Gerlier, archevêque de Lyon, le père Momdjian, représentant Monseigneur Garabed Amadouni, Exarque des Arméniens catholiques de France, les pasteurs Daniel Atger et K. Khayiguian, le père Mesrop Yédikardachian, curé catholique de Saint-Chamond, le père Vlassios de l’Église orthodoxe grecque ainsi que le mufti de Lyon.
Assistent encore à la cérémonie, les vice-présidents du Conseil Général, Madame Rubis et Monsieur Francisque Collomb, le capitaine Bougeard, le Colonel Dibief et le Général Scève, Monsieur Faure-Braque, Monsieur B. Papaduka, Consul de Grèce, Monsieur Charles-Diran Tékéyan, président des anciens combattants arméniens, les anciens et nouveaux membres de l’UNA de Lyon.
Toutes les croix et les colonnes de l’église sont consacrées avec le Saint Chrême, ainsi que les fonts baptismaux et tous les objets de culte : « Que cette pierre soit bénie, consacrée et sanctifiée au nom du saint apôtre Pierre, par ce signe de la Sainte Croix, par le Saint Evangile et le Saint Chrême…au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, dans les siècles des siècles. »
La chorale Gomidas est dirigée par M. Martin Oflaz.
Les lectures bibliques se succèdent et la cérémonie se termine par la prière : « Seigneur, toi qui as bâti ton église sur la pierre des apôtres, nous, tes serviteurs indignes, te rendons ce qui t’appartient: cette maison construite pour la gloire de ton Saint Nom. »
Après la cérémonie de consécration, Monseigneur Sérovpé Manoukian lit la lettre et la bulle pontificale du Catholicos de Tous les Arméniens, Sa Sainteté Vazken 1er.
L’archevêque termine son homélie par ces mots : « C’est aujourd’hui une date historique pour les arméniens de Lyon, car dix années d’espoir et d’attente ont ainsi trouvé leur aboutissement. Avec nos prières, avec nos hymnes, avec la bénédiction du Saint Chrême, nous avons consacré l’église qui est avant tout la maison de Dieu. Mais c’est aussi notre maison communautaire. C’est la maison de notre langue et de notre culture. C’est aussi votre maison. C’est ici que vont être baptisés vos enfants, c’est ici que vos morts vont être accompagnés de la prière divine. Mais le bâtiment matériel n’est pas tout. A partir de maintenant, il vous faut fonder le bâtiment spirituel et moral grâce à votre foi, votre espoir et votre solidarité. Que Dieu conserve les saintes églises de France, cette église en particulier, dans la paix et la concorde. Dans ce beau pays de liberté, de fraternité et d’égalité qu’est la France, nous avons la possibilité de nous réaliser dans tous les domaines. Nous devons profiter de tous les avantages qui s’offrent à nous.»
Au cours du repas de réception, il rappelle que «les arméniens de Lyon ont connu des moments de découragement, mais que tout cela, appartient désormais au passé. L’église de Lyon est différente des églises de Paris et de Marseille, pour la simple raison qu’elle est le fruit du sacrifice de gens simples, et non de l’entreprise individuelle de riches donateurs. »
Il souligne le rôle joué par Messieurs Gulbenkian et Varjabédian. Il félicite tous les membres du comité de construction, faisant en particulier l’éloge de son président, Monsieur Garbis Djinguederian. Il évoque le souvenir de l’architecte Armen Hagopian et le travail bénévole de Monsieur Musy après la mort de son prédécesseur et rappelle enfin le rôle de Monsieur Chahbazof.
A cette occasion, le père Vramchabouh reçoit le titre d’archiprêtre, et le père Torkom, une croix pectorale. Monseigneur Besag chante l’hymne : « Seigneur, sauve les Arméniens ».
Le Progrès, 4 avril 1962.
Echo_01.07.1963
L’Echo, 1er juillet 1963.